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Certains me demandent : "Quand Linux sera-t-il prêt pour le maché commercial ?" Je pense que la première chose à étudier est ce qu'on entend par "commercial" dans ce contexte.
Certains vendeurs de CD-ROM ont ajouté le mot "commercial" à leur nom, simplement pour faire croire aux techniciens que leur produit convient seulement aux banques et sociétés d'assurance. D'autres presonnes regardent leurs produit avec dédain et disent que "Linux n'a pas la qualité commerciale", car il y manque telle ou telle fonctionnalité dont ils ont besoin, ou parce qu'ils le croient instable (souvent sans même l'avoir essayé une seule fois).
Pour moi, le mot "commercial" a perdu autant de valeur sur le marché que d'autres mots de verbiage :
Dans les premiers temps de l'informatique, le marché commercial était constitué des banques, des compagnies d'assurances et d'organisations diverses dans lesquelles l'utilisation de COBOL ou RPG (NdT : ou GAP) était majoritaire. Le marché technique était scientifique, de l'ingénierie et de l'industrie dans lesquels FORTRAN et l'assembleur étaient utilisés. A un moment donné, le terme "commercial" semble avoir changé de sémantique au profit de "adapté au marché de masse" contre "adapté aux bidouilleurs".
Pour les besoins de cet article, j'utiliserai la seconde sémantique, et expliquerai pourquoi je pense que Linux est adapté aux besoins commerciaux plutôt qu'à celui des dilettantes et bidouilleurs, et adapté au marché de masse plutôt qu'à des egments limités.
Pour ceux d'entre vous qui détestent les longs articles, ou qui disposent de peu de temps, je vais indiquer tout de suite mes conclusions. Ensuite, vous pourrez aller boire une bière ou avoir d'autres activités amusantes :
"Oui, Linux est adapté au marché commercial... dans certains cas".
Pour qu'un système d'exploitation soit adapté au marché de masse, il doit disposer de certains attributs :
Mais vous pouvez éliminer toutes ces considérations dans le marché de masse d'aujourd'hui si une seule prémisse est vraie :
Vous disposez de nombreuses applications.
Après tout, il n'y aurait pas 170 000 000 systèmes DOS dans le monde si toutes les autres avaient dû être vraies.
J'ai souvent ajouté qu'il devait être économique, mais l'histoire m'a prouvé que j'avais tort sur ce point. Si les gens avaient addistionné le coût total de la propriété, Apple aurait certainement gagné la guerre contre le PC. Mais les gens ignorent les coûts humains des autres (et même d'eux-mêmes), alors qu'ils se cognent la tête contre les murs pour faire fonctionner quelque chose, que le système plante régulièrement, ou que la combinaison de touches qu'ils ont le plus d'habitude de manipuler est :
<CTRL><ALT><DEL>
Dans les premiers temps de l'informatique, les gens étaient heureux de dépenser des milliers de francs pour un simple éditeur de texte ASCII, ou de travailler avec une simple feuille de calcul.
Et c'était un acte de management de les acheter, avec des tas de commandes en urgence, pour avoir l'intégration multimédia sur leur système d'exploitation, et disposer de toutes les applications que leur voisin (ou chef, ou compatriote) avait sur "son" système.
Et ils voulaient avoir ces applications facilement, certainement pas plus difficilement en tout cas que de décrocher leur téléphone pour commander sur catalogue ou d'aller au magasin du coin pour les acheter.
Maintenant, qu'est-ce qui est à l'origine de cette pléthore d'applications pour un système d'exploitation ? La facilité de programmation ? De bons outils de développement ? Les fonctionnalités du système d'exploitation ? La stabilité dans le temps des interfaces ?
La réponse est "aucune d'entre elles". Bien que toutes ces caractéristiques puissent aider à convaincre un développeur d'applications d'effectuer un portage, le seul critère déterminant est le parc de la plate-forme d'un système d'exploitation. A nouveau, si MS-DOS était comparé à MacOS, ou même à Unix et que le parc n'entrait pas en ligne de compte, nous savons quels sont les deux systèmes qui disposeraient du plus grand nombre d'applications, et ils ne proviendraient pas de Microsoft.
Bien qu'il soit vrai que certains vendeurs de Linux travaillent pour proposer ces applications au marché de masse (lisez le dernier "... pour les nuls", le nombre d'applications qui tournent sur plate-forme Microsoft a été estimé à plus de 35 000. SunOs dispose d'environ 10 000 applications, avec d'autres "Unix commerciaux" (y compris Solaris 2.x) beaucoup moins représentatifs en nombre. Il faudra longtemps aux vendeurs de Linux pour disposer du nombre d'applications nécessaire pour toucher le marché de masse, en particulier si celles-ci ne dépendent de la compatibilité ni iBCS2, ni DOS/Windows (qui peuvent actuellement fournir un grand nombre d'applications), mais sont plutôt des applications "natives" Linux.
Donc les applications sont le roi (et la reine) du marché de masse, et la base installée (colume) ou la promesse d'une évolution explosive (toujours en volume) est la clef de celles-ci. Mais le marché de masse est-il seulement "commercial" ? La réponse est "non". Le marché de masse est un sous-ensemble (quoique fort vaste) du marché commercial. Voyons donc les besoins du reste du marché commercial. Nous allons l'étudier en le segmentant ainsi :
Quand je parle de système dédiés, je pense spécifiquement à un ordinateur qui dispose d'une application spécifique (ou pas si spécifique) qui tourne dessus. Des exemples de systèmes dédiés sont les terminaux point de vente, systèmes de CAO, etc. Mais dans une acception plus large, d'autres applications comme les serveurs Web, serveurs de noms (comme BIND), etc. peuvent aussi être considérés comme "dédiés", puisqu'ils ne disposent que des quelques programmes nécessaires pour le système.
Habituellement, les systèmes dédiés sont ceux pour lesquels un indépendant (ISV) ou un revendeur à valeur ajoutée (VAR) choisit un matériel, un système d'exploitation, porte une application dessus, puis duplique ce système 500 ou 1 000 fois sans modifier l'application de base. Ces ISV et VAR vont essayer de choisir la solution la moins chère qui colle aux besoins de leur clientèle.
Linux est parfait pour ce genre d'applications. Le système d'exploitation est suffisamment stable pour porter et tester complètement une application. Une fois pleinement testé et stable, le paquetage compet et "coulé dans le bronze" et dupliqué un nombre quelconque de fois pour le client final.
Puisque le système d'exploitation peut être librement copié, et qu'il tourne sur du matériel bon marché, les coûts variables sont minimaux. Même un développeur non familier du système Linux (qui a donc besoin d'aide pour le faire tourner sur une plate-forme) aura un retour sur investissement rapide grâce aux économies de 1 000 à 5 000 F par licence du système d'exploitation. De plus, le code source est entièrement disponible pour le système complet, en cas de problème ultérieur. Il est possible d'acheter une grande quantité d'heures de support technique Linux pour 1 000 à 5 000 F.
Comme je l'ai dit plus haut, je compte les fournisseurs d'accès Internet (ISP) dans la population concernée par les systèmes "dédiés", à la fois pour Internet et pour l'intranet. Pourquoi surcharger le gros, cher et complexe serveur pour le Web alors qu'une simple petite machine peut en assurer la charge ? Pourquoi ne pas faire tourner les NIS secondaires sur une machine Linux ? ou peut-être le serveur BIND ?
Dans les premiers temps de Digital unix (connu ensuite sous le nom de DEC OSF/1), nous n'avions pas beaucoup d'applications. En fait, nous n'en avions aucune. L'équipe marketing venait me voir avec des têtes d'enterrement pour me demander s'il était possible de vendre un système d'exploitation sans application. J'ai inventé le terme "Turbocharging" qui permettait à un système Digital Unix d'utiliser la vitesse et la puissance du processeur Alpha (ainsi que le débit de nos équipements réseau) pour décharger NIS, NFS, BIND et autres des machines SPARC surchargées. Nous avons aussi montré aux gens comment utiliser la commande rsh(1) pour permettre à l'Alpha d'effectuer une partie de leurs traitements gourmands en CPU tout en renvoyant les résultats à la SPARC sur leur bureau. Cela permettait aux SPARC de travailler plus sur les applications et moins sur les autres tâches d'"administration système". Nous avons vendu des tas de systèmes Digital Unix fondés exclusivement sur l'exécution de ces tâches. Aujourd'hui, bien sûr, Digital Unix dispose de beaucoup plus d'applications, et des bases de données mémoire très vastes qui sont extrêmement rapides. Mais le même principe s'applique. Le moteur de base de données tourne sur le système Alpha, fournit les données à des moteurs SPARC comme un "Turbochargeur". Je peux voir les systèmes Linux s'orienter dans la même direction, en suivant le même chemin.
Les grands comptes ont souvent des applications maison qui doivent être déployées sur un vaste réseau. Ou encore ils ont une direction qui impose une certaine suite d'applications, qui peuvent ensuite être portées sur Linux. Puisque ces grands comptes sont très vastes, leurs coûts de systèmes d'explotation sont très importants, et l'économie d'échell eengendrée par l'utilisation de Linux peut couvrir complètement les coûts de portage.
Ou encore ces grands comptes peuvent "influencer" leurs fournisseurs de logiciels pour effectuer le portage sous Linux. Finalement, il peuvent même changer certaines de leurs habitudes informatiques (utiliser des programmes existants) si les économies d'échelle sont suffisantes.
Des entreprises comme Caldera créent des suites d'applications et se rapprochent des grands comptes pour leur montrer les économies de systèmes d'exploitation possibles par la bascule vers Linux. Bien qu'il soit impossible que tout application concevable par le client puisse tourner sur Linux, le mélange d'applications natives, iBCS2, DOSEMU et WABI peut constituer une jolie suite qui couvre leurs besoins.
Enfin, il y a ce que j'appelle des "niches de marché". Les marchés qui peuvent acheter Linux simplement parce que c'est Linux, et non à cause des suites applicatives existantes.
Dans le champ de l'éducation, il y a trois marchés principaux :
La partie administrative est l'aspect "commercial" du marché. Elle cherche des systèmes simples à utiliser qui puissent assurer les tâches administratives de la dimension de celles d'une petite ville.
L'"informatique de campus" est la fourniture de puissance de calcul et de services de tous types, services de Web et de recherche dans les domaines scientifiques non-informatiques (par exemple, la modélisation moléculaire).
Enfin, il y a les cours d'informatique, aussi bien en enseignements secondaire qu'en supérieur, ainsi que la recherche en informatique.
Alors que le sous-marché administratif s'appuie plus sur des applications spécifiques, les deux autres en ont un besoin plus limité (les cours d'informatique en ayant le moins besoin). Ces derniers peuvent utiliser beaucoup plus les applications free -- et shareware qui sont déjà portées sous Linux. Cela leur donne une plateforme très économique (d'un point de vue logiciel) tout en leur permettant de voir et (souvent) de modifier le code source pour les applications qu'ils utilisent.
Plus important, dans le domaine de la recherche informatique, les résultats de la recherche peuvent être librement distribués à d'autres travaillant dans la même zone, ou même publiés en code source pour illustrer les résultats. Cela ne peut se faire avec des systèmes d'exploitation "commerciaux".
Certaines universités utilisent Linux de plus en plus pour leur campus. D'un point de vue "commercial", leurs besoins sont les mêmes que ceux de nombreux métiers. Les étudiants venant du milieu scolaire connaîtront Linux, et passeront le mot à leurs employeurs futurs.
Finalement, il y a le bidouilleur informatique et le marché du développement logiciel. Je fais partie de ce marché par celui des radio-amateurs. Dans ce sous-marché des radio-amateurs, la radio est souvent utilisée simplement pour parler à d'autres gens, mais en même temps, les utilisateurs recherchent de nouvelles manières d'utiliser la radio, et de l'améliorer. De nombreux ingénieurs en électricité on commencé comme radio-amateurs. Ainsi, cela peut se faire avec Linux, puisque pour la première fois, le prix du matériel et le code source du système d'exploitation sont à la portée du simple mortel.
En conclusion, je pense que Linux contient les éléments nécessaires pour certains types d'utilisation "commerciale" :
Ce dont Linux a réellement besoin est que la communauté "commerciale" comprenne ce qui est en train de se passer, et qu'elle l'utilise là où il est utile. Cela accroîtra le volume encore plus, ce qui attirera d'autres applications.
(NdT : Dans ce qui suit, Jon "maddog" Hall parle au futur, mais la traduction ayant lieu après l'événement, le traducteur s'est permis, pour plus de clarté, de transposer l'ensemble au passé composé).
Tout au long de ces lignes, je voudrais faire part d'un effort conjoint de USENIX et de Linux International qui a eu lieu en janvier 1997 à Anaheim, Californie (Etats-Unis). Il y a eu une conférence de développement conjointe USENIX/Linux , et bien qu'un certaine partie de la conférence Linux ait été orientée vers le développement du système d'exploitation Linux, le principal de la conférence a été orientée vers les développeurs d'application et les gens du marketing, pour leur permettre de mieux comprendre le système d'exploitation Linux et comment vendre leurs applications et services dans le marché Linux. Nous espérons avoir montré aux ISV, VAR, revendeurs et distributeurs comment faire de l'argent en vendant leurs applications et services sur le système Linux.
Jon ``maddog'' Hall est Senior Leader dans le groupe Unix de Digital Equipment Corporation. Il est dans l'industrie informatique depuis vingt-cinq ans, dans Unix depuis seize ans et a participé à l'émergence de six systèmes d'exploitation, y compris Linux sur Alpha. Il a un MS (NdT : Master in Science) en informatique.
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